Aoru Ҩ Sung Mi

« are you ready or not ? »

26 Mai 2010 † 17:12

Une journée comme les autres. Le mois de Mai touchait à sa fin, apportant avec lui la chaleur accablante qui avait duré plusieurs semaines - la météo était à présent bien plus équilibrée, pour le plus grand bonheur des habitants de Tokyo. C'est sous un doux soleil que commença ma journée.

Je devais avouer que depuis ma rencontre avec l'inconnu du club, quelques jours auparavant, je n'étais pas dans le même état d'esprit quant à me rendre à l'opéra. Les cours me paraîssaient moins longs, autant le ballet que l'entraînement vocal, et ma dongsaeng Su Jin m'avait l'air beaucoup plus supportable. Tellement que, par dépit, j'avais même accepté d'aller manger avec elle un soir après les cours. Et les jours passaient, et il ne venait pas.

Je décidai donc d'envisager cette journée autrement, afin d'éviter une nouvelle déception. S'il ne venait pas ce soir, j'allais abandonner à tout jamais l'idée de le rencontrer à nouveau. C'était dommage, mais c'était comme ça. Mes sentiments de démone avaient déjà été bien assez chamboulés par son intrusion dans ma vie, et la façon dont il m'avait laissée sur le bord de la route, je n'allais pas non plus m'amuser à avoir des chagrins d'amour. Enfin, d'amour ?

Cependant, de m'être cantonnée à mon appartement - désormais sec - toute la semaine, j'avais développé un sentiment de faim qui avait rarement atteint ce stade ; il était tel que j'aurais pu me satisfaire de n'importe quel humain, voir même humaine tellement la sensation m'était insupportable. C'est avec un creux dans l'estomac que je conclus le chant lyrique, et me dirigeai vers le réfectoire. Paradoxalement, je n'avais pas vraiment faim.

L'heure du cours de ballet arriva étonnamment vite, et celle des questions avec. En effet, depuis mon altercation avec Sora dans l'aile abandonnée de l'hôpital quelques jours auparavant, j'arborai sur ma joue droite une belle balafre qui avait la forme exacte de ses griffes. Je dus mentir à plusieurs reprises, prétextant avoir été attaquée par un chat, aussi regrettai-je de ne pas avoir dit une chatte, puisque la démone en était une belle. Notre petite querelle eut aussi pour effet de me fatiguer physiquement, au point que je fus réprimandée une bonne dizaine de fois par cette vieille frustrée de professeur, qui décidément avait une dent contre moi. De toutes façons, la danse classique n'avais jamais été mon fort.

Transpirante et fatiguée, je quittai le cours désormais fini. Comme d'habitude, les douches étaient bondées. Cet opéra était décidément trop petit pour le nombre d'élèves qu'il accueillait... Balançant mon sac sur mon épaule, toujours vêtue de mon juste-au-corps rose pâle, et mes ballerines en main, j'avançais dans les couloirs du théâtre à la recherche d'une douche libre. Enfin, ce jusqu'à ce que...

Cela faisait plus d’une semaine depuis la fameuse soirée passée en compagnie de cette femme, dont je ne connaissais d’ailleurs toujours pas le nom. J’avais depuis continué de vivre ma vie normalement, à quelque chose près : j’étais constamment de bonne humeur, ou presque. J’étais en effet ravi de cette nouvelle rencontre, et l’envie de retenter l’expérience avec elle n’avait pas baissé d’un cran, si ce n’est même augmenté. Puis, ce 26 Mai, j’avais pu organiser ma journée de façon à avoir toute ma soirée de libre, enfin, même si un imprévu était vite arrivé ; j’espérais seulement que je ne m’étais pas libéré pour rien et que je retrouverai ma délicieuse partenaire de jeu.

A 16h précise, je me garai donc devant l’Opéra. Je connaissais bien cet endroit, et je préférai m’avancer au sein de la structure afin de ne pas manquer mon rendez-vous improvisé. Je m’assis sur un banc dans le couloir des douches, non pas pour voir défiler des hommes et des femmes en petites serviettes, mais pour être sûr de ne pas manquer la demoiselle. Heureusement que j’avais pris un livre pour m’occuper, car ce n’est qu’au bout d’une heure que j’aperçu enfin sortir des élèves qui se précipitaient dans les douches. Je commençai alors à guetter les gens qui défilaient quand j’entendis un brouhaha monter en puissance, dont je compris vite l’origine au vu de la foule qui s’avançait vers moi. Bon, il est vrai que je n’étais pas très bien dissimulé, assis ici. De toute façon, j’avais l’habitude de ce genre de choses, et les membres de ce conservatoire se tenaient généralement mieux que les autres. On commença tout de même à me demander quelques autographes et je m’exécutai, bien sûr. Mes admirateurs ou fans étaient sans doute les personnes qui comptaient le plus à mes yeux, et je pouvais refuser peu de choses à quiconque savait apprécier mes compositions, intégrant ainsi mon univers. C’était également grâce à eux que je pouvais mener le train de vie qui me plaisait et vivre de ma passion. Quand à ceux qui ne s'intéressaient qu'à mon physique et bien... Ma foi, c'était flatteur.

Mais à trop me concentrer sur ça, j’allais vraiment finir par louper la personne pour qui je m’étais déplacé. Je relevai alors la tête et tentai de voir au travers de la cohue quand je l’aperçue, en train de marcher, apparemment exaspérée par cette soudaine agitation. Ha, c’était un réel plaisir de la voir avec ce juste-au-corps rose. Il moulait tellement bien ses formes parfaites, j’avais presque l’impression de tout distinguer. C’était en même temps très drôle de la voir vêtue ainsi, en petite danseuse douce et gracieuse, limite paradoxal. Elle avait l’air fatigué, et sa transpiration n’avait absolument rien enlevé à sa beauté, au contraire. Les cheveux attachés lui allaient tout aussi bien, dégageant ainsi son beau visage, sans oublier son cou toujours aussi attirant. Etrangement, la vue de son visage me réjouis beaucoup plus que je ne l’avais prévu ; en revanche, je ne pus dire ce qu’elle s’apprêtait à faire. Allait-elle à ma rencontre, ou bien passerait-elle son chemin, vexée de la tournure qu’avait pris notre dernière soirée ? Quant à moi, j’aurais très bien pu jouer de délicatesse et me lever, passer à côté d’elle en l’invitant subtilement à me suivre… Haha, sauf que je n’avais aucune certitude qu’elle me suivrait. Or j’avais d’ores et déjà décidé que je passerai de nouveau cette soirée avec elle, alors je ne pouvais pas la laisser filer.

Sur ces pensées, je m’excusai auprès de la foule qui m’entourait et me levai en direction de cette femme qui n’avait pas stoppé sa route. L’idée me traversa qu’elle pourrait avoir quelques problèmes avec ses camarades qui allaient assister à la scène, mais j’avais l’intime conviction que cela lui passait bien au-dessus, et que si quelqu’un s’amusait à la chercher, il changerait vite d’avis. Au pire, sa rancune envers moi grandirait, ce qui pourrait être amusant. Tiens, et si je jouais avec le feu ? Arrivé à son niveau, je lui agrippai le poignet et lui déposai un léger baiser sur la joue, provoquant un certain chahut dernière moi. Je souris :

« Je t’avais dit que je reviendrai te voir… »

C’est alors que je remarquai sa balafre.

« Eh bien, ça, c’est de la blessure. Ça ne te fait pas trop mal ? »

Contre qui s’était-elle battue ? Ou plutôt, contre quoi ? La curiosité me gagna encore plus. Il fallait décidemment que je sache ce qu’elle était, mais d’abord, je préférai qu’elle se doute de mes soupçons bien fondés, juste histoire de voir ses réactions. Je lui octroyai alors un large sourire :

« Un chat, je suppose ? »

Ou alors allait-elle me dire qu’elle s’était emplâtrée dans une scie ?

La cohue qui s'était emparée du couloir était tout simplement impressionnante. On aurait cru que l'opéra avait été changé... en zoo ? Les ballerines, d'ordinaire si gracieuses et élégantes, couinaient comme de jeunes porcelets, et je ne pus que les mépriser de les voir se mettre dans de tels états. Mais d'abord, qu'est-ce qu'il se passait ? Pourquoi tout ce vacarme ? Me fermant hermétiquement au monde extérieur, je décidais de traverser tout ce chahut d'une traite, sans m'arrêter, ni même chercher le pourquoi du comment. J'avais seulement envie de prendre une bonne douche.

Mes plans furent ruinés par quelqu'un qui avait eu la sublime idée de m'agripper le poignet sans même me prévenir. Cette personne voulait-elle mourir ? Furieuse, je lui lançai un regard sévère... Jusqu'à remarquer que c'était lui. L'étranger, l'homme du bar, le propriétaire de la Maserati, et nouvellement objet de mes convoitises, il était venu le jour même où j'avais décidé que s'il ne se pointait pas, je jetterais l'éponge. Belle coïncidence ? Dans l'élan du contact, il déposa un baiser sur ma joue. Surprise, je ne pus m'empêcher de lâcher un « oh », mais repris vite de ma consistance. Essayait-il de se faire pardonner de m'avoir abandonnée la dernière fois ?

« Je t’avais dit que je reviendrai te voir…, murmura-t-il avec un sourire. »

Agacée, je lui jetai un autre de mes regards de mort. Cette soudaine affection exposée en public ne me plaisait guère. S'il essayait de m'embarrasser, ç'allait très mal se passer... Et à peine eut-il le temps de prononcer cette phrase, que j'entendais le brouhaha des gens derrière moi. « C'est sa copine ? Ils sont ensemble ? » qu'ils disaient. Ça n'avait pas l'air de perturber le japonais plus que ça. Mais qui était-il donc pour rameuter une telle foule ? Étais-je la seule à ne pas le connaître ? Ses yeux quittèrent les miens un instant, avant de s'arrêter sur ma joue. Ah, la griffure. Pourquoi n'avais-je pas eu la simple idée de la camoufler avec du maquillage ? Je ne devais pas ressembler à grand chose ainsi...

« Eh bien, ça, c’est de la blessure. Ça ne te fait pas trop mal ? demanda-t-il innocemment. »

J'hésitais à lui révéler que si, sur le coup, ça avait fait particulièrement mal, et que le choc que j'avais reçu dans l'omoplate m'empêchait de mouvoir mon bras librement, et rendait la danse bien plus difficile, et qu'il m'arrivait encore de tousser du sang par moments. Mais je n'aurais jamais pu faire ça. C'était bien trop risqué. Après tout, je ne connaissais toujours pas la position de cet étranger... Simplement, je lui rétorquai :

« Ça se soigne, doucement. »

Il eut l'air pensif une fraction de seconde, mais bien vite un sourire prit place sur son visage.

« Un chat, je suppose ? »

Je lui répondis avec un sourire gêné en guise d’acquiescement. Un simple chat... Oui. C'était mon excuse officielle, après tout. Mais comment un chat aurait pu laisser quatre belles traînées rouges sur ma rouge, aussi profondes et distinctes ? Les gens étaient décidément stupides, et j'avais comme la sensation que ce mensonge ne ferait pas l'affaire auprès de l'homme.

Mais alors que les gens semblaient s'être dispersés un minimum, j'entendis des pas qui m'étaient étrangement familiers. Oh non, il ne manquait plus que...

« Sung Mi-senpai~ ! m'interpella l'une de mes junior de l'opéra, Tu connais Hikami-sama ? »

Je me retournai et fis face à la petite japonaise qui avait presque hurlés ces mots. Ça n'aurait pas pu pire tomber. Cette fille... Elle était une véritable calamité ; il me fallait donc fuir tant qu'il était encore tant. Je lui adressai un large sourire, réfléchissant à toute vitesse à ce que je pouvais faire pour nous esquiver. Si en plus elle était sa fan... Vite, Sung Mi !

« Euh, en fait, oui, lui rétorquai-je avec le sourire le plus hypocrite du monde, mes yeux remplis de feu et la toisant avec un regard qui voulait clairement dire 'casse-toi'. D'ailleurs Hikami-sama est pressé, tu vois, alors je vais le raccompagner, maintenant. »

Pendant une fraction de seconde, je pus lire la terreur sur son visage, et elle ne tarda pas à s'excuser, avant de faire demi-tour. Je pus enfin me concentrer sur l'étranger à nouveau. Enfin, sur Hikami-sama... Quel drôle de nom. Il devait vraiment être particulièrement célèbre pour avoir des gens qui l'appelaient '-sama'...

Lasse du bruit et de l'oppression qu'exerçaient toutes les prétendues fans sur nous, je décidai de m'accrocher au bras de Hikami, et de l'emmener avec moi, au hasard, dans l'un des couloirs de l'opéra. Tant que nous étions seuls, n'importe quel lieu allait, non ?

Elle me lança un léger sourire en guise de réponse. Un peu gênée la demoiselle ? Cela ne m’étonnait pas car franchement, il aurait fallu que je sois furieusement idiot pour soupçonner que cette cicatrice avait été causé par un simple chat. Mais alors que je souhaitais insister sur le sujet, curieux de savoir comment elle s’en sortirait, une personne m’en empêcha :

« Sung Mi-senpai~ ! Tu connais Hikami-sama ? »

Sung Mi ? Haha, eh bien finalement, je connaissais son prénom. Je souris à la jeune intéressée que je trouvais d’ailleurs quelque peu impolie. Et au vue de l’expression qui se répandait sur le visage de Sung Mi, je pu sentir la profonde affection qu’elle avait l’air de porter à sa cadette. Pressentiment d’autant plus confirmer lorsqu’elle ouvrit la bouche :

« Euh, en fait, oui. D'ailleurs Hikami-sama est pressé, tu vois, alors je vais le raccompagner, maintenant. »

Je retenu un violent rire. C’était la première fois qu’elle prononçait mon prénom, et elle avait dû le surmonter d’un « sama ». Or je la connaissais peu et pourtant déjà assez bien pour savoir que ce n’était pas le genre de femme à appeler ses confrères « sama ». Et puis cette dernière démonstration avait une fois de plus confirmait mon intuition : un humain normalement constitué ne serait pas capable d’émettre une aura aussi lourde, et il fallait être bien à l’ouest pour ne pas me connaitre par ici, très objectivement parlant. En tout cas, elle avait réussi à traumatiser une « gentille fille », ce qui ne parut pas pour autant la perturber étant donné qu'elle s’était remise à m’observer, perdu dans ses pensées, pour finalement m’accrocher sans aucune gêne au bras. Haha, fidèle à elle-même. Elle me mena ainsi sans trop savoir où dans les couloirs de l’opéra, recherchant certainement la tranquillité.

A vrai dire, je trouvais très agréable de marcher ainsi avec elle à mes côtés, silencieusement. Je ressentais une aura particulièrement paisible, ce qui était surprenant. Nous rencontrâmes alors un couloir vide et je la guidai à mon tour pour atteindre un banc. Tout en m’asseyant, je la regardai et ouvris un large sourire :

« Et donc ? Tu m’as appelé comment ? »

Cette réplique n’eut pas l’aire de lui plaire et son regard se durcit. Mon sourire ne disparut pas pour autant, au contraire. Je ne me lassais pas d’observer les brusques changements d’expressions de son visage, cela me donnait encore plus envie de poser des questions gênantes et je me languissais de ses futures réactions. J’avais l’impression que mon objectif de base s’envolait peu à peu pour laisser place à de plus en plus de curiosité, chose très étonnante mais qui était loin de me déplaire. J’espérais juste que cela durerait encore un moment, car ce sentiment était aussi rare que plaisant.

Je me rendis compte que mes dernières pensées avaient effacé mon sourire et m’avaient quelque peu isolé. Tout à coup préoccupé par Sung Mi, je me retournai brusquement vers elle et croisai son regard. Allais-je la trouver vexée, ennuyée, détachée ? Il n’en fut rien. Elle paraissait tout simplement calme, tranquille. J’admirai alors une nouvelle fois son visage délicieusement dégagée, et sa cicatrice attira une fois encore mon attention. J’approchai alors mécaniquement ma main vers sa joue puis m’arrêtai avant d’atteindre la blessure. Relevant mon regard pour capter le sien, je plissai les yeux et arborai un sourire :

« Il devait être vraiment gros, le chat…, dis-je d’un ton qui se voulait ironique. »

Allait-elle persister dans cette voix ou bien jouer la carte du mystère ? Peut-être les deux ? Ou même aucune ?

Nous nous assîmes dans le calme du conservatoire.

« Et donc ? Tu m’as appelé comment ? »

Je le toisai méchamment. Il me provoquait ?! Le -sama que j'avais utilisé... Ce n'était qu'une figure de style pour fuir le parasite qui s'était greffé à nous. Fâchée, je croisai mes bras en mécontentement. Il jouait avec moi. Et pas de la façon dont j'avais envie qu'il joue avec moi. Malgré tout, notre échange était intéressant. Sa présence était intéressante. Lorsqu'il était à côté de moi, je ressentais quelque chose d'assez différent. Il ne sentait pas comme pouvait sentir l'aura d'un ange ou d'un démon, non, il était entièrement humain, et pourtant, je lui découvrais un art de la parole, et une langue affûtée qui lui accordaient une grande puissance.

Mon agacement s’effaça rapidement, pour laisser place à ce sentiment que j'avais remarqué, ressentais toujours lorsque ce Hikami était à proximité. Je réprimai un frisson lorsque sa main frôla ma joue blessée.

« Il devait être vraiment gros, le chat… »

Je soupirai bruyamment. Sora... Nous nous étions battues plutôt violemment, quelques jours auparavant. Une bataille que j'avais pourtant gagnée, la touchant en plein cœur avec la puissance contre laquelle elle ne pouvait rien, celle de la vérité. J'avais pourtant eu pitié d'elle, peut-être par erreur, et l'avais aidée à se remettre. Malgré tout, la balafre qu'elle m'avait faite ne me ravissait guère. Il était évident que les hommes avaient beaucoup plus de mal à se laisser aller à une personne scarifiée, et ma beauté s'en trouvait touchée d'une façon signifiante.

« Une très, très grosse chatte, ajoutai-je, pensant très fort à Sora. »

Ma main courut doucement sur la cicatrice, grossière erreur puisque je fronçais instantanément les sourcils face à la douleur qui m'envahit. Ça n'était pas encore tout à fait fermé.

« J'ai essayé de donner à manger à son petit, et elle s'est excitée contre moi. »

J'essayais de ne pas trop lui en dire. Pourtant, une force invisible me poussait à être de plus en plus claire sur la situation. Que m'arrivait-il ? Avais-je besoin... de quelqu'un à qui parler ? Je secouai ma tête afin de chasser ce genre de pensées. L'humain, il ne savait sûrement pas ce qu'était un démon. Enfin, rien de plus que ce que l'on avait pu voir dans les films, ou dans les livres. Alors pourquoi éprouvais-je ce besoin de me confier à lui, comme si je savais qu'il allait comprendre ?

Je soupirai à nouveau. Il fallait que je me contrôle. Ne pas trop ouvrir la bouche... ou en tout cas pas pour parler. D'ailleurs, à ce propos...

« La dernière fois, quand tu m'as lâchée au bord de la route, on n'était pas en train de... commencer quelque chose ? »

J'avais dit cette phrase en faisant la moue. Il fallait que je libère toute la tension accumulée en moi. Rapidement. Alors s'il ne voulait pas me satisfaire, il allait falloir que je trouve un autre moyen.

Très gros, et apparemment peu à son gout.

« Une très, très grosse chatte. »

Je pouffai. Une bagarre entre fille ? Elle avait donc choisit de s’enfoncer dans l’explication du chat, mais c’était comme si elle souhaitait que je comprenne, que je capte le fort sous-entendue de ses paroles, comme si elle souhaitait m’expliquer la chose sans pouvoir le faire clairement. Et quoi de plus normal, pensais-je, elle ne pouvait pas raconter ce genre de choses à un humain. Fallait-il que je joue le tout pour le tout ? … Non, la subtilité restait bien plus intéressante à explorer.

Durant un instant, je vis ses yeux se remplirent de colère, et sa main effleura sa cicatrice. Elle avait mal. Humaine ou pas, avait-elle pris soin de la soigner un minimum ? Car même si ça ne pouvait pas la tuer, cela n’apaisait en rien la douleur. Or voir souffrir cette personne ne me faisait pas particulièrement jubiler.

« J'ai essayé de donner à manger à son petit, et elle s'est excitée contre moi. »

Un indice de plus ? Jalousie peut-être ? Etrange. Je restai silencieux et laissai aller ma tête sur le mur de derrière, attendant la suite.
Qui en fut inexistante puisqu'à la place, elle préféra revenir sur notre objectif de base :

« La dernière fois, quand tu m'as lâchée au bord de la route, on n'était pas en train de... commencer quelque chose ? »

Je n’eus pas besoin de la regarder pour deviner qu’elle faisait la moue. Je souris. Elle ne perdait jamais le nord, cette Sung Mi. Je laissai un léger silence s’installer. Non pas que l’envie de continuer ce que l’on avait commencé me manquait, loin de là, mais la curiosité surpassait le tout. Surtout, je me demandais bien quelle serait sa réaction si je la faisais languir… Même si je doutais de ma capacité à lui résister plus longtemps.

« Encore désolé de t’avoir brusquement abandonnée, la dernière fois. »

Je me tournai finalement vers elle. Ha, au vue du regard qu’elle me lançait, c’allait être dur de la faire patienter. C’en était même bizarre, en fait. J’avais le sentiment profond que son expression reflétait quelque chose au-delà du désir, quelque chose qui relevait presque de l’instinct… Un indice de plus sur sa nature ? Décidemment, avant toute chose, il fallait que j’en sache plus. Tant pis, j’allais devoir retenir mes ardeurs et faire une croix sur la subtilité. J’avançai alors ma main vers son visage et effleura ses lèvres.

« Tu as vraiment faim, n’est-ce pas ? Lui dis, un grand sourire au bout des lèvres.»

Sourire qui s’effaça tout aussi vite qu’il était venu. Je repris possession de ma main et lui lançai un regard sérieux. Cela m’agaçait d’être obligé de me retenir, mais je n’avais pas le choix.

« C’est vraiment l’impression que tu donnes. »

Je ne cherchai pas vraiment ce que le visage de Sung Mi laissait transparaitre à ce moment précis. Ça, je m’en préoccuperai plus tard. J’étais en effet frustré de la tournure des évènements et me laissai volontairement embarquer dans ma lancée.

« Ta blessure te fait mal non ? Pourquoi tu ne fais rien ? Ce n’est pas plaisant de voir ton visage se crisper de douleur tu sais. Quant à la fameuse chatte, tu aurais mieux fait de penser à lui arracher ses griffes avant toutes choses. Et qui a gagné, en fin de compte ? Ex aequo peut-être ? Laquelle de vous deux était la femme possessive qui voulait rétamer sa rivale ? Les deux ? Franchement, j’espère que ce n’est pas toi, car mis à part l’envergure qu’à l’air d’avoir pris ce combat, ça ressemble de très près à une dispute de lycéennes. Un comble pour quelqu’un qui n’est pas humain. »

Et voilà. Les dés étaient lancés. La partie avait pris une toute autre tournure, restait à voir comment elle allait évoluer… Ou se terminer.

« Tu as vraiment faim, n’est-ce pas ? Dit-il après s'être excusé, ses doigts s'aventurant jusqu'à mes lèvres pour les effleurer doucement. »

Mon expression changea instantanément, pour la Nième fois depuis qu'il avait posé le pied dans le fief qu'était pour moi cet opéra. Il avait réussi à me cerner aussi rapidement, à mettre directement le bon mot sur le sentiment de vide qui comblait mon abdomen en permanence ? C'était à peine croyable. Sa perspicacité n'avait donc pas de limite ?

Pourtant plus nous avancions dans cette conversation, et plus je sentais la chose dangereuse. S'il essayait de me faire parler, alors je risquais de lui en dire beaucoup trop pour ce que ses oreilles d'humain auraient pu entendre ; la moindre erreur et je me savais courir un danger énorme. Cet humain, Hikami, si il savait pour nous ? Je n'en savais pas pour autant ce qu'il aurait pensé des créatures surnaturelles. En tout cas, s'il en avait bien conscience, il n'avait pas peur. Ou peut-être était-il juste un séducteur aux répliques affûtées qui arrivaient même à me faire douter moi.

« C’est vraiment l’impression que tu donnes. »

C'est la vérité.

Je lâchai un soupir sonore. Je n'avais pas spécialement tenté de ruse sur lui, je n'avais ni feint l'innocence, ni tenté d'en savoir plus pour m'en rapprocher. Je ne savais même pas qui il était. Dans tous les cas, il était trop tard pour mettre quelque chose en place ; si les choses prenaient une tournure inattendue, je n'aurais pu m'en prendre qu'à moi même. Je le laissai continuer, attentive à sa réponse.

« Ta blessure te fait mal non ? Pourquoi tu ne fais rien ? Ce n’est pas plaisant de voir ton visage se crisper de douleur tu sais. »

Mon visage était déjà défiguré par Sora. Le plus douloureux n'était sûrement pas la blessure en elle-même, mais bien le sentiment d'être devenue beaucoup moins puissante. Même si Sora m'avait affaiblie physiquement, me brisant presque l'omoplate et, je crois, ayant touché quelque chose du côté de mes poumons, ma capacité de régénération comblait de ce côté là. La fatigue morale qu'elle m'avait causée, cependant, était bien plus longue à se soigner.

« Quant à la fameuse chatte, tu aurais mieux fait de penser à lui arracher ses griffes avant toutes choses. Et qui a gagné, en fin de compte ? Ex aequo peut-être ? Laquelle de vous deux était la femme possessive qui voulait rétamer sa rivale ? Les deux ? Franchement, j’espère que ce n’est pas toi, car mis à part l’envergure qu’à l’air d’avoir pris ce combat, ça ressemble de très près à une dispute de lycéennes. »

Les mots de l'étranger me portèrent un coup en pleine poitrine.

Il avait terriblement raison. Qui de nous deux avait été la plus stupide ? Qui avait gagné ? Comment pouvais-je le savoir... J'avais décidé d'épargner Sora, au moment où j'aurais pu emporter la victoire. C'était sûrement moi, la plus stupide.

Cependant ses espérances ne seraient pas déçues. C'était bien la démone qui m'était tombée dessus et pas l'inverse, étant donné qu'à cet instant, je n'avais aucune connaissance de ce qui avait été mon tort. Je soupirai de nouveau.
Une dispute de lycéennes. C'était exactement ça, malgré mes 409 ans de bons et loyaux services démoniaques.

« Un comble pour quelqu’un qui n’est pas humain. »

C'est bien ce que je pensais. Il avait tenté le tout pour le tout de me révéler qu'il avait compris mon petit jeu... Lui pourtant était bien humain, j'arrivais clairement à lire son âme, elle ne vacillait pas, son odeur était normale quoique particulièrement appétissante, alors pourquoi ? Qu'avais-je fait de si flagrant qui m'aurait révélée ?

S'il savait tout, je ne pouvais plus lui mentir.

« Tu sais tout... ? »

Je plantai mes yeux dans les siens, ma main trouva son poignet, et je ressentis comme une légère décharge électrique dans mon bras.

« Je... Je dois y aller. Tu sais où est la sortie. »

Je me levai précipitamment, lâchant son avant-bras et tentant de m'enfuir loin de sa vue. Le jeu devenait bien trop dangereux pour la femme affaiblie que j'étais.

Durant mon monologue, Sung Mi n’avait ni cherché à m’interrompre, ni démontré du mécontentement. Elle s’était simplement contentée de m’écouter, attentivement ; lorsque j’eus prononcé ma dernière phrase, je me préparai à toutes les éventualités possibles et attendis, serin, la réaction de la concernée. Une certaine appréhension tout de même que ce qui avait si bien commencé se termine comme cela.

Après une légère réflexion, Sung Mi ouvrit enfin la bouche :

« Tu sais tout... ? »

Elle n’avait pas vraiment l’air surprise ou quoi que soit, non, c’était quelque chose de différent, presque comme si elle se sentait… rassurée ? Elle me fixa droit dans les yeux et toucha mon poignet. Pourquoi ? Pourquoi ce soudain contact ? Mais avant que je ne puisse réfléchir un peu mieux à cette interrogation, sa main me relâcha instantanément :

« Je... Je dois y aller. Tu sais où est la sortie. »

Sur ces mots, elle se leva et s’enfuit. Quelque peu étourdi par sa réaction une fois de plus inattendue, je la regardai un instant s’éloigner d’un pas pressé. Puis, sans mon accord, mon corps se lança à sa poursuite, mes pas s’accélérant de plus en plus jusqu’à courir ; je ne me rendis compte de la chose qu’une fois que le bras de Sung Mi fut en ma possession et que je l’avais littéralement plaquée contre un mur.

Je clignai un instant les yeux, comme pour mieux réaliser, avant de prendre une décision. Bien, puisque mon instinct avait décidé de ne pas la laisser partir, je le suivrai avec confiance.

Ne pouvant savoir de quoi était capable ma compagne pour s’enfuir, il ne me fallut que peu de temps pour choisir « l’option facile » mais qui au moins allait m’assurer de la retenir un moment de plus.

Je captai immédiatement son regard, un laps de secondes me suffisait pour que mon don fasse son effet. Je la sentais paniquée, et l‘hésitation dont elle avait fait preuve dans ses dernières paroles me le confirmait. Je lui procurais par conséquent l’illusion d’un sentiment d’apaisement et de tranquillité, et ne pouvant définir son taux de panique exacte, je ne lésinais pas sur la puissance.

Je sentis alors son corps s’abandonner à la gravité ; apparemment, j’avais un peu trop dosé l’illusion. Sung Mi ne comprenait visiblement pas pourquoi elle se sentait zen au point que ses jambes cèdent sous son poids. Je souris gentiment et la rattrapai avant qu’elle n’atteigne le sol, faufilant mon bras gauche sous son dos et mon droit sous ses jambes. Ainsi, je la relevai et la portai jusqu’au fameux banc. Je l’assis à mes côtés et laissai tomber sa tête sur mon épaule.

« Tu pourrais quand même répondre à mes questions avant de t’enfuir… , dis-je dans un soupire. »

Ce qui me ramena à cette question :

« D’ailleurs, pourquoi est-ce que tu as voulu t’enfuir ?»

Les réponses à cette question ne pouvaient pas être bien nombreuses, mais j’étais curieux de savoir.

En attendant qu’elle reprenne un peu de vivacité, je posai ma tête sur la sienne. Tiens, c’était agréable, cet endroit. Et ça sentait bon en plus... Je fermai alors les yeux et patientai tranquillement.

Et moi, pourquoi avais-je tant voulu la rattraper ? Sûrement parce qu’il aurait été trop frustrant que mes questions restent sans réponse. Sûrement parce que j’aimais être en sa présence et éprouver ce genre de sentiments nouveaux. Sûrement parce que j’étais curieux de voir combien de temps pourrait durer cette relation curieuse et quand je m’en lasserai. Et j’avais surtout peur. Car si je l’avais laissée partir, j’avais l’impression stupide que je ne l’aurais plus revu.

Malgré tout, il fallait rester sur ses gardes. Ce qui me fit doucement rigoler lorsque je pensai à ma position, qui était c’est sur digne de quelqu’un qui se méfiait…

Ma tentative de fuite fut rapidement avortée et je me retrouvais plaquée contre le mur, entourée de la présence de l'humain. Je tentai de fuir son regard, apeurée, lui signalant de me laisser partir ; j'étais bien trop affaiblie pour lutter et mener un combat dans cet état m'aurait simplement menée à ma perte. En vain, puisqu'il força mes yeux dans les siens sans peine.

Un instant et je vis son aura vaciller, comme une flamme sur laquelle on aurait rajouté de l'huile ; elle était devenue beaucoup plus puissante, en même temps que son odeur s'était intensifiée. Je la sentais et m'en imbibais, comme envoûtée, laissant cette jolie âme entrer par chaque pore de ma peau. Et puis je ne compris plus.

J'étais comme dans une transe étrange, un délire qui m'aurait presque laissé croire que Hikami était mon ami et que je pouvais avoir totalement confiance en lui. Étonnamment, je n'opposais pas résistance. Ça n'était pas naturel de résister. J'étais comme paralysée, et c'était surprenant mais absolument détendue. Je sentis ma vision se troubler et mes jambes ne supportèrent plus mon poids bien longtemps ; heureusement, je sentis les bras forts de l'homme me retenir et il m'empêcha de toucher le sol. Je le remerciai intérieurement. J'avais beau ne plus être tout à fait consciente, je savais qu'une nouvelle chute n'arrangerait pas le cas de mon omoplate cassée. Je me sentis soudainement flotter. Hikami me porta sur quelques mètres et me posa doucement sur le banc que nous habitions quelques instants auparavant. Ma tête sur son épaule, je tentais de reprendre le contrôle, calquant ma respiration sur la sienne, jusqu'à ce que nos battements de cœurs soient identiques.

« Tu pourrais quand même répondre à mes questions avant de t’enfuir… 
- Je n'ai rien à te dire, tentais-je de rétorquer, mais j'eus une voix si endormie que mes paroles n'étaient pas des plus compréhensible. »

Je fis de mon mieux pour respirer régulièrement. L'effet qu'avait eu le développement de son aura sur moi me laissa encore plus affaiblie, mais la sensation de détente était toujours présente. Si j'avais pu vouloir prendre la fuite quelques minutes plus tôt, il n'en était plus question. J'étais presque contente d'être posée ici, à écouter les vibrations produites lorsqu'il parlait, et respirer son odeur ; elle était particulière, comme un mélange de musc et d'épices, presque poivrée, et puissante. Très masculine. Je fermai les yeux.

« D’ailleurs, pourquoi est-ce que tu as voulu t’enfuir ?»

Quelle drôle de question ? Parce que je me sentais menacée évidemment.

« Il n'y a pas tant d'humains qui savent, pour nous, répondis-je simplement. Ils ont moins peur des anges, qu'ils n'ont peur des démons, et s'ils n'en ont pas peur ils souhaitent notre mort. Dans tous les cas, ça ne m'arrangeait pas que tu sois au courant. »

Car qu'il ait eu peur, ou qu'il ait voulu ma mort, dans les deux cas, mon sort était le même. Je me retrouverais toute seule, affamée, et avec une distraction de moins. Distraction qui m'avait gardée éveillée une bonne semaine, me rendant active et pleine d'anticipation. Ce n'était que le commencement, que je me disais. Maintenant qu'il savait tout, n'était-ce pas justement la fin, ou en tout cas un coup de théâtre dans notre semblant d'histoire ? Il y avait quand même un hic. Il savait sûrement depuis un petit moment déjà... Et si c'était la raison pour laquelle il m'avait laissée dehors la dernière fois ? Pourquoi serait-il revenu à moi ? Il n'était pas si maniaque de l'exécution de ses promesses, si ?

« Tu imagines, je suis déjà une très vieille femme. Beaucoup plus vieille que toi ! Plaisantai-je légèrement. »

Il ne devait pas avoir plus de 25 ans. Ce n'était même pas comparable avec mes quatre siècles d'existence démoniaque et les dieu-seul-savait-combien d'années que j'avais passées en tant qu'ange. Ça et le fait que je n'étais pas la plus anodine des démones...

J'eus un léger soupir, fermant les yeux à nouveau.

« Tu... vas me tuer, n'est-ce pas ? »

« Il n'y a pas tant d'humains qui savent, pour nous. Ils ont moins peur des anges, qu'ils n'ont peur des démons, et s'ils n'en ont pas peur ils souhaitent notre mort. Dans tous les cas, ça ne m'arrangeait pas que tu sois au courant. »

Elle répondit ainsi à l’une des questions maitresses qui tournait en boucle dans mon esprit : c’était un démon. Ça ne me surprenait pas vraiment, et j’étais satisfait qu’elle m’ait donné une réponse ; réponse par ailleurs pleine de bon sens. Car il était évident que les quelques humains au courant de l’existence des créatures surnaturelles avaient automatiquement plus peur des démons que des anges, puisqu’à l’évidence, un ange était censé faire le bien alors qu’au contraire un démon était ici pour répandre le mal. Image bien trop manichéenne à mon goût. Et comme elle l’avait si bien fait remarquer, ceux qui ne craignaient pas les démons souhaitaient leur mort, et cela signifiait qu’ils pouvaient se prétendre assez puissants pour ne pas en avoir peur et les contrer. En revanche, dans tous les cas de figure, ça ne l’arrangeait pas que je sois au courant ? Ce qui voulait dire que, quelque part, elle se satisfaisait également de ma présence ? Cette dernière pensée me fit sourire. Je m’en doutais déjà, mais c’était agréable de se l’entendre dire.
.
« Tu imagines, je suis déjà une très vieille femme. Beaucoup plus vieille que toi !»

Je laissai s'échapper un léger rire. C’est vrai qu’elle ne devait pas se faire toute jeune, c’était fou à quel point les démons et les anges gardaient la forme longtemps. Je me demandais alors quel type de démon était Sung Mi, même si je penchais bien pour ce qui touchait du côté du vice, vu l’attitude qu’elle adoptait face aux humains. Haha, et ça expliquait beaucoup de choses.

« Tu... vas me tuer, n'est-ce pas ? »

Je ne pus réfréner un rire compulsif. Elle était sérieuse ? Est-ce qu’elle pensait vraiment ce qu’elle venait de dire ou bien était-ce calculé pour m’attendrir ? Non, elle semblait belle et bien sérieuse. Je voulus observer son visage pour lui fournir une réponse qui était évidente pour moi quand cette dernière réflexion me plongea dans l'hésitation : Jusqu’à quel point était-ce évident ? Si je devais le faire, est-ce que je m’exécuterais, comme d’habitude ? Je sentis soudainement mon estomac s’alourdir. Ha, cette sensation, je ne l’avais pas ressenti depuis mon enfance, et ce n’était pas très bon signe.

Mais le moment était mal choisi. Après tout, j’aurais tout le temps d’y penser après. Je décidai donc d’ignorer en bloc le dernier fil de mes pensées. Je relevai alors la tête et pris la sienne entre mes mains pour la scruter sévèrement :

« Bien sûr que non ! Toi non plus, n’est-ce pas ? »

Mon visage se détendit et je la relâchai.

« De plus, même si je le voulais, je ne pourrais éliminer que ton enveloppe humaine. Du coup tu pourrais revenir te venger de moi à ta guise. Enfin bien sûr, ce serait facile de te faire définitivement disparaître avec l’aide de mes super 'collègues' mais bon, tout dépend si tu œuvres pour l’apocalypse ou non. »

Et si c’était le cas ?

« Et si c’était le cas… Eh bien je suppose que j’attendrais un peu avant de mettre fin à tes jours. Si ce n’est pas le cas, je m’en contrefiche. Quant à toi, ce que tu veux faire de moi, je n’en sais rien en fait. Je me suis peut-être un peu trop embarqué dans mes théories. Peut-être que depuis le début tu cherches à me tuer ? Après tout, les démons sont doués pour la manipulation, même si tu sais, je ne fais pas trop la différence entre les anges et tes confrères… »

En réalité, qu’ils soient pour l’extinction de la race humaine ou non ne changeait pas grand-chose. C’est vrai, puisque l’objectif se résumait à officiellement tuer des démons pour ce qui était du côté ange et vice versa. Et à enrôler le plus d’humains possible des deux côtés.
Comme quoi, ange ou démons, la différence n’était pas plus épaisse qu’un poil de dos, pour ne pas être vulgaire.

Une chose était sure, je n’avais aucune envie de la tuer, mais si Sung Mi souhaitait ma mort, cela changeait la donne.

Car j’avais la ferme intention de rester vivant afin de pouvoir admirer de quoi allait retourner cette fameuse apocalypse.

Ma soudaine honnêteté l'amusa fortement, il rit à haute voix, son corps tremblant légèrement sous l'expression de l'émotion. Ce n'était pas la première fois que je l'entendais rire, mais l'état d'éveil dans lequel étaient mes sens à cet instant me faisait tout ressentir bien mieux, et je le remarquais clair, presque aigu. C'était un son agréable, mais il apporta avec lui le doute. Et s'il voulait vraiment me tuer ?

Il avait une longueur d'avance sur moi. Mes pouvoirs n'étaient que peu utiles au combat. Je ne bénéficiais pas d'une force surhumaine comme Sora, et ma façon démoniaque d'ôter la vie ne se ferait pas dans ce genre de circonstances... Si jamais il passait à l'attaque, je risquais bien vite de me retrouver dans les pattes de Levi, la Maîtresse de mon Cercle infernal. Ça ne lui ferait pas plaisir...

Hikami reprit la parole, me sortant de mes pensées, et agrippant mon visage soudainement. Je lui répondis avec un froncement de sourcils, et évitai son regard.

« Bien sûr que non ! Toi non plus, n’est-ce pas ? »

Bien. J'aurais pu ne pas croire en ses paroles, mais il me semblait sincère, et je n'avais pas la force de céder à une quelconque paranoïa. J'avais envie de lui faire confiance. Mais si une démone pouvait accorder son amitié à un humain, l'inverse était-elle bien possible ? Nous n'en étions pas encore là.

Il déblatéra un moment sur pourquoi il ne voulait pas me voir morte. Ça me semblait légitime... Et pourtant, ce qu'il avoua sur la façon de tuer les êtres de mon espèce, le fait de ne pouvoir que nous renvoyer en Enfer sauf s'il se faisait aider, tous ses mots m’interpellèrent. Et c'était légitime. Pourquoi en savait-il autant ? J'eus un frisson d'effroi, me dégageant de son toucher, et baissant les yeux. J'étais tombée sur un chasseur. Décidément, n'allais-je pas réussir à me sortir de ces situations dangereuses ? Plus le temps passait, et plus j'avais l'impression de jouer avec la mort... Une troisième fois.

« Peut-être que depuis le début tu cherches à me tuer ? Après tout, les démons sont doués pour la manipulation, même si tu sais, je ne fais pas trop la différence entre les anges et tes confrères… »

Je secouai la tête vivement. Peut-être que c'était le cas ? Peut-être que ça l'avait été. La perspicacité de l'homme m'empêchait cependant de lui mentir. Je haussai les épaules puis trouvai son regard, et, d'un air un peu gêné, lui avouai :

« Peut-être qu'au début ça m'est passé par la tête. »

Puis me reconcentrant sur un point sans intérêt face à moi, jouant avec le bout de mes doigts.

« Je me fiche pas mal de l'Apocalypse... Je l'attends, si elle arrive, tant pis, si non, je continuerai à faire ce que je fais depuis tout ce temps. »

Je détachai mon chignon d'un geste expert, laissant tomber mes cheveux en cascade sur mes épaules. Je ne portais pas le genre humain dans mon cœur, mais si elle venait à se produire, j'aurai tout de même des regrets, pensai-je. J'aurais voulu trouver le moyen de combler le vide qui s'était logé dans mon corps lors de ma chute du Paradis. J'aurais aimé savoir pourquoi j'avais été déchue. J'aurais aussi aimé savoir ce qui s'était passé, ce que j'avais été, retrouver cette mémoire après laquelle je courrais depuis tout ce temps en vain, et enfin savoir qui j'étais. Malgré tous les dangers liés à l'approche de cette imminente Fin du Monde, je continuais de penser que je menais une existence plutôt paisible. J'eus un soupir, puis me détournai vers Hikami avec un sourire triste.

« Tu sais, moi aussi j'ai été un Ange. Ça ne se voit pas, hein ? »

Ça ne pouvait pas se voir. J'étais devenue une parfaite démone, loyale et assidue, qui tuait autant par volonté que par plaisir que par obligation. Il n'y avait plus rien de mes anciennes vies en moi, que la mort imminente qui m'attendait patiemment.

Son hâtif mouvement de tête me rassura. A moins qu’elle eut nié sans hésité car elle savait maintenant que j’étais un chasseur et qu’elle n’était pas en position de force ? Mais le doute eut à peine le temps de s’installer que je rencontrai le regard de Sung Mi et qu’elle m’avoua, un ton à mi-chemin entre le gêne et la nonchalance :

« Peut-être qu'au début ça m'est passé par la tête. »

Il aurait très bien pu s’agir de la technique qui consiste à ne révéler qu’une partie de la vérité pour éviter tout soupçon et où le fin mot de l’histoire aurait été « je veux te dévorer », mais je ne pouvais faire autrement que de la croire. De plus elle était encore sous l’emprise de l’illusion, et il aurait été difficile pour elle de tenter ce genre de tactique… Je me persuadai de cela. Et si je me trompai, je n’aurais qu’à m’en prendre qu’à moi-même.

C’était étrange de croire si facilement, pour quelqu’un comme moi. La façon qu’elle avait eu d’avouer cela pour tout de suite se remettre à fixer le vide, jouant avec ses main comme une enfant qui vient de reconnaître une bêtise, encore une fois, que ce soit calculé ou pas, je m’en contrefoutais et trouvais cela juste adorable. Je ne me connaissais pas si sensible aux choses mignonnes.

« Je me fiche pas mal de l'Apocalypse... Je l'attends, si elle arrive, tant pis, si non, je continuerai à faire ce que je fais depuis tout ce temps. »

Et qu’est-ce qu’elle faisait depuis tout ce temps ? La question effleura le bout de mes lèvres pour finir absorber par des vagues de cheveux qui s’évanouirent dans un mouvement gracieux et fluide sur les épaules de Sung Mi. Quand était-elle repassait à son « mode beauté intouchable » ? Elle resta ainsi plongée dans ses pensées, alors que j’étais incapable de prononcer quelque chose, bien trop fasciné une nouvelle fois par sa beauté.

Son visage prit un air tellement mélancolique pendant un cours instant que j’osai à peine reprendre mon souffle, tant l’atmosphère paraissait fragile, et Sung Mi retrouva une expression plus ou moins normale pour finir par soupirer. Je souris, me demandant combien de soupirs avait-elle pu émettre depuis notre première rencontre à l’Ibiza club.

« Tu sais, moi aussi j'ai été un Ange. Ça ne se voit pas, hein ?
-Est-ce que c’est à ça que tu pensais à l’instant ? »

J’étais loin d’être du genre compulsif, pourtant cette question était sortie tout naturellement, d’un ton limite enthousiaste. Je fus forcément gêné par ce soudain élan et ma main se glissa tout aussi spontanément sur ma bouche. Je pris quelques secondes pour me poser : depuis quand je ne réfléchissais pas avant de parler ? Ce genre de réactions était naturel pour un grand nombre de personnes mais très loin de l’être pour moi. Ah et comme je détestais ça.

Je relevai la tête sans regarder Sung Mi, me contentant de me servir de mes mains en guise de repose tête.

Quand bien même, est-ce que c’est à ça qu’elle avait pensé lorsque son expression s’était faite si mélancolique ? Ou est-ce qu’au moins ça en faisait partie ?
Elle ne me répondait pas et c’était bien normal, car elle ne pouvait pas se douter de ce à quoi je venais de faire allusion.

Un Ange… Fixant le plafond, un sourire grandit sur mon visage.

« Un Ange ! Ça explique beaucoup de choses oui. Me voilà rassuré. »

Je ne pris pas la peine de m’expliquer et fermai les yeux. Sung Mi avait donc certainement dû être humaine, se réincarner en Ange pour finir en Enfer. Tout cela lui trotter apparemment beaucoup dans la tête. Sinon pourquoi sa dernière question aurait-elle été surmontée d’un sourire si triste ?

Tout à coup, une pensée paradoxale à ce côté Ange nostalgique refit surface et je rouvris les yeux sous l’impulsion d’un léger rire :

« Mais ça n’empêche pas que tu as voulu me tuer ! Franchement, ça me vexe. »

Je lui lançai alors un regard et ne pus réprimer l’envie de mettre tous ces beaux cheveux soyeux en désordre. Sous l’excuse d’une vengeance personnelle, j’avançai mes deux mains et lui ébouriffai le tout pendant quelques secondes.

D’où me venait cette soudaine bonne humeur ? Est-ce parce que j’avais aperçu d’autres facettes de Sung Mi ? Ou bien simplement parce j’étais devenu temporairement idiot ? C’était en tout cas très agréable, enfin, même si pour elle ça devait être une autre paire de manches.

Plus les minutes s'écoulaient et plus je m'apercevais que le regard que Hikami posait sur moi avait quelque chose de différent. Tout comme sa beauté pouvait être singulière, et son aura qui l'était tout autant, il avait cette façon de m’œiller qui me semblait tout à fait nouvelle. J'y décelais quelque chose qu'il m'était encore difficile à cerner, était-ce un semblant d'affection, ou peut-être de la pitié ? Quoi qu'il en eut été, je ressentais toujours en lui un je ne sais quoi de spécial.

Notre conversation aurait pu être qualifiée de la même sorte : singulière. Révéler sa vraie nature à un humain faisait partie des « tabous » de notre race, mais je me posais la question, qu'en était-il lorsque l'on nous découvrait sans qu'il n'y ait l'intervention d'une quelconque confession ? Je n'étais responsable que de n'avoir pas su dissimuler ma véritable nature correctement. Il me paraissait cependant étrange que n'importe quel sentiment ayant trait à de la culpabilité ait trouvé sa place en un démon. Si je l'avais tué, la première fois, l'aurais-je regretté ?

« Est-ce que c'est à ça que tu pensais à l'instant ? »

Son ton était presque jovial, paradoxalement. Je ne pus comprendre vraiment l'essence de la question ; oui, j'étais en monologue intérieur au sujet de mes angoisses personnelles, mais pourquoi voulait-il le savoir ? Sa façon de tenter de s'introduire dans mon esprit me perturba un peu plus. J'étais assez dérangée comme ça sans qu'on ne tente quelque expérience de télépathie ! Je l'observai un instant alors qu'il tentait de rattraper le coup, ou en tout cas je perçus les choses ainsi :

« Un Ange ! Ça explique beaucoup de choses oui. Me voilà rassuré. »

Je lui lançai à nouveau un regard des plus vides. Rassuré de quoi ? Le passé était le passé. Il n'y avait plus rien d'angélique en moi à cet instant. Qu'essayait-il de dire ?

J'eus un nouveau soupir. Il ne pouvait pas m'aider, lui non plus. Comment est-ce qu'un humain aurait pu m'être utile à quoi que ce soit. Peut-être qu'au moins si j'en avais fait mon quatre heures...

« Mais ça n'empêche pas que tu as voulu me tuer ! intervint-il, comme s'il avait encore eu vent de mes pensées, Franchement, ça me vexe. »

Soudainement très gênée d'avoir pu avoir une telle pensée, je fuis son regard avec une moue embarrassée. J'aurais sûrement regretté de l'avoir vidé de son âme, aussi belle et appétissante qu'elle pouvait être. Plus que son aura, ou son énergie spirituelle, je me sentais me nourrir de sa présence, me réjouir de pouvoir l'observer, m'accommoder de sa compagnie. Mon cœur s'accéléra doucement à la pensée : ça restait tout de même clairement risqué, et pour lui, et pour moi. Son regard changea à nouveau alors que je chassai la pensée dérangeante, et j'anticipai son prochain mouvement en fermant les yeux. Ses mains s'abattirent sur mon crâne et il ébourrifa joyeusement mes cheveux. J'eus un sourire rapide, mais mon expression se raidit à nouveau. Je le regardai du coin de l'oeil, soudainement embarrassée par mes prompts changements d'humeur.

« Ce n'est pas forcément négatif. »

Je savais très bien ce à quoi je pensais. Ce soir là, s'il n'avait pas été là... Mais comment expliquer simplement ce genre de sentiments qui n'avaient rien d'humain ? Voyant son air interloqué, je poursuivis :

« Enfin, ce n'est pas ce que je veux dire ! Hm. Tu ne pourrais pas comprendre. Être un dém... enfin, ce que je suis, c'est aussi des contraintes. »

Lentement je remontai mes jambes près de ma poitrine, enserrant mes genoux de mes bras, et y reposant le menton.

« J'ai beau avoir faim je n'ai pas envie de te voir mort, alors on peut dire que tu ne risques rien, tu vois ? Cela dit si tu m'attaques je me défendrai. »

D’accord, je m’étais une nouvelle fois fourvoyé. Mon idiotie passagère n’avait en effet pas eu l’air de lui déplaire. Je m’attendais à ce que Sung Mi me lance un de ses fameux regards noir, dans toute sa fierté, mais j’aperçu au contraire un sourire furtif se dessiner sur son visage, suivit de près par cet air embarrassé. Était-elle de nouveau gênée ? Étaient-ce ses changements d’humeur vis-à-vis de ma personne qui la dérangeaient ? Cette dernière supposition emplit mon corps d’une étrange chaleur, quelque chose de très agréable. L’idée qu’il fut possible que je la perturbe à ce point était exquise.

« Ce n'est pas forcément négatif. »

A quoi pensait-elle pour tout d'un coup dire quelque chose de si vague ? En tout cas, je ne voyais absolument pas où elle voulait en venir. Décidément, il semblait qu’inconsciemment nous prenions chacun un malin plaisir à placer l’autre sur un amoncellement d’interrogations.

« Enfin, ce n'est pas ce que je veux dire ! Hm. Tu ne pourrais pas comprendre. Être un dém... enfin, ce que je suis, c'est aussi des contraintes. »

Je ne savais pas si cela avait pour but d’expliquer sa précédente réplique mais il était sûr que ça ne m’aidait pas à éclairer ma lanterne.
Qu’est-ce qu’elle n’avait « pas voulu dire » ? Et cela avait donc un rapport avec sa nature ? Hm, est-ce qu’elle culpabilisait d’avoir eu envie de me dévorer ?

« J'ai beau avoir faim je n'ai pas envie de te voir mort, alors on peut dire que tu ne risques rien, tu vois ? Cela dit si tu m'attaques je me défendrai. »

C’était donc ça. J’affichai un grand sourire :

« Ravis de l’entendre ! »

Quelque part, nous étions sur la même longueur d’ondes, car au vu de ma situation je me devais sans doute de la tuer mais n’en avais aucune envie ; alors on pouvait aussi dire qu’elle ne risquait rien … En revanche, si elle m’attaquait, je me défendrais également.

« Et je me doute que ça ne doit pas être facile tous les jours. Haha, ça ne l’est pour personne d'ailleurs. »

Oui, ça ne l'était pour personne.

Je relevai mon regard et lorgnai Sung Mi, dans sa position de petite fille gênée. Quoiqu’elle en dise, elle avait vraiment des côtés adorables. Je me surpris alors à sourire chaleureusement, fermant ensuite instantanément les yeux en secouant légèrement la tête afin de me reprendre.

Puis, lorsque je les rouvris, mon attention fut portait sur un épi dressé entre la chevelure fluide et lisse de Sung Mi ; c’était probablement dû à ma fantaisie passagère quelques minutes auparavant. J’eus un léger rire et me rapprochai afin de remettre en place la mèche volage, ce qui fit sursauter la propriétaire. Elle releva son visage, et je pus mieux remettre la rebelle en place. La laissant ensuite glisser le long de mes doigts pour la laisser s'échapper, mon regard se détourna vers celui de Sung Mi. Une chose me traversa alors l’esprit, quelque chose de récent auquel je n’avais pas prêté attention.

« En tout cas, apparemment je te crois. »

Je souris. Est-ce que c’était bien ou pas, je n’en savais rien et pour tout dire je m’en foutais éperdument, même si cette façon de voir si légèrement les choses était peut-être due à la vue de son visage si proche du mien.

A cette distance je sentais sa respiration, son odeur, je pouvais presque entendre les mouvements imperceptibles de ses cheveux et du bout de ses doigts. Instinctivement, mon regard fut de nouveau captivé par ses lèvres pulpeuses et délicatement rosées, irrésistiblement attirantes, à seulement quelques centimètres des miennes. Mon cerveau répondant aux abonnés absents, je voulus combler cette distance entre nous et rapprochai alinsi mon visage du sien, lentement, peut-être finalement avec une certaine hésitation quant à goûter à ce fruit interdit.

Alors, ce sont aux portes de ce qui devait être paradoxalement une sorte de paradis que la sonnerie de mon téléphone retentit judicieusement. Aussi je me stoppai net dans mon élan, comme ramené brusquement à la réalité.
Un rire sarcastique sortit soudainement de mon fort intérieur et je me reculai pour prendre en main mon portable, découvrant l’auteur de cette interruption ; ce qui ajouta par ailleurs à la scène un côté encore plus ironique : Takuya.

« Encore toi ? …. Non pour rien, à croire que tu le fais exprès … Où ça ? Ok. Je suis là dans 20 minutes. »

Je raccrochai et m'adressai à Sung Mi, mes paroles accompagnées d'un bref sourire :

« Haha, on dirait bien que la situation veut se reproduire. C’est peut-être un avertissement ? Enfin, excuse-moi une nouvelle fois mais … Je vais devoir te laisser. Je sais toujours où te trouver. »

Sans attendre de réponse, je me levai et commençai à partir lorsque quelque chose me frappa : avertissement ou pas, j’avais bel et bien oublié quelque chose.
Me retournant alors promptement je revins vers Sung Mi, qui ne devait pas comprendre grand-chose. Mais je n’avais pas le temps de savoir si elle était énervée ou quoique ce soit. Je me baissai alors vers elle et attrapai son menton afin de mieux pouvoir la dévisager.

« Désolé, j’ai oublié quelque chose. »

Je déposai alors furtivement un baiser sur ses lèvres, quelque chose de très basique mais qui me remit immédiatement de bonne humeur.

Je fis finalement demi-tour, un large sourire au bout des lèvres, et m’en allai.